Le jour férié tant attendu se leva avec hardiesse sur le village encore assoupi et démesurément minuscule dans le fond de la vallée. On se préparait dans les chaumières à la débauche annuelle et à une beuverie sans limite.
Le maire avait mis, lui même, les petits verres dans les grands, décoré la salle de guirlandes en papier doré. Même les papillons et les oiseaux étaient venus nombreux et sillonnaient l'air guilleret, faisaient des ronds dans le ciel, se posaient parfois sur les prés carrés, puis repartaient de plus belle en battant des ailes sans tambour, ni trompette. A ce propos, une fanfare de circonstance, s'entraînait encore sur la place du village; elle était menée de main de maître par Félix, qu'une moustache épaisse élevait au rang de chef d'orchestre. Il y avait des cuivres, qui brillaient au soleil mélomane, des instruments à corde et autres instruments de torture pour celui ou celle qui n'aspirait en ces lieux qu'à la quiétude. La musique était amplifiée mille fois et déphasée par l'écho, ce qui la rendait un peu surnaturelle.
Au milieu de la place de la mairie, une immense table, faite de planches placées bout à bout, posées sur des tréteaux et recouvertes de nappes en papier coloré, se dressait et recevait déjà les couverts et les assiettes, les carafes d'eau et les bouteilles de vin.
Pendant ce temps les villageois se faisaient beaux, se regardant dans la glace deux fois plutôt qu'une. On dépoussiérait les plus jolis habits, rapiéçait les petits trous de mite, nouait les cravates, cirait les chaussures. Même, les filles pudibondes, osaient, car c’était un jour exceptionnelle, porter des vêtements affriolantes sans pour autant friser l'indécence.
Seize heures sonnèrent. C'était l'heure H, décidée comme à l'accoutumée à l'unanimité à l'occasion d'une réunion municipale. Les premières personnes arrivèrent, s'assirent autour de la table et consommèrent aussitôt tout ce qui leur tombait sous la main, puis sous la dent. Léa, la demoiselle d’honneur, une belle jeune fille souriait et son sourire dévorait l'espace, ce qui provoqua un appel d'air.
-Tiens, le vent a tourné, s'écria un nommé Grégoire qui en était à sa deuxième bouteille.
Il y eu une deuxième bourrasque, plus intense que la première. Les partitions du chef d’orchestre s’envolèrent en compagnie d’autres objets non identifiés. Marcel, l’officier de police, qui avait été réquisitionné pour le maintien d’un désordre contenu, reçu en pleine figure, qu’il avait bien entretenue afin de plaire aux dames, une partition qui se colla un moment à son visage avant de choir dans une flaque d’eau mêlée à des bouses de vaches. Il la ramassa, car il était écolo et ne supportait pas de voir des papiers traînés dans la rue, et oh stupéfaction lit sur le verso de cette feuille dont le recto était couvert de notes : « Je l’ai tuée et l’ai mise dans le congélo. La voie est libre ma chérie. Félix. »
-Saperlipopette, dit-il car il avait une grande culture littéraire
Marcel avisa l’hôtel des chasseurs. Il entra dans le bar et s’installa à une table libre juste au dessous d’une énorme gueule de sanglier.
-Dites moi, s’adressant au patron du bar, vous connaissez un certain Félix musicien semble t'il !
Les discussions s’arrêtèrent et les regards le fusillèrent. Tous des chasseurs pensa le policier qui était très perspicace, car c’était son métier de l’être..
-Et pourquoi donc, monsieur, voudrait des nouvelles de ce monsieur, se moquait le patron
-Vous le connaissez ? continua Marcel sans sourciller.
-Nous ne connaissons pas ce monsieur, comment déjà, dit le patron sur un mauvais ton.
-Alors personne ne connaît Félix le musicien dans ce fichu bar, adjure Marcel en haussant la voix.
-Vous êtes de la police, dit quelqu’un au fond de la salle.
-Dans le mille, mon pote, je suis de la police. Pour vous déplaire.
Il arbora sa carte professionnelle barrée d’un bleu-blanc-rouge.
-Excusez nous, dit le patron, nous vous avons pris pour un emmerdeur, vous savez ces touristes parisiens qui se croient tout permis.
-En tout cas ils ne vous prennent pas votre soleil.
-Ah ça nous le gardons pour nous, dit Ernest, le mec du fond de la salle, qui avait réussi à tromper la vigilance de sa femme et qui en était à sa sixième mousse.
-Allez donc voir sur la place du village, à la fête. La fanfare…dit ce dernier l’air désabusé
Un peu plus tard, Un enfant qui jouait au skateboard montra au policier, Félix, qui se mêlait le pinceaux avec sa baguette. Les tubas s’essoufflaient. Les violons couinaient dans un même élan
La musique, ne sachant plus où aller, temporisa un petit moment, puis repartit sur une valse à deux temps et demi. Les couples qui s’étaient formés selon la loi du hasard, dansaient en faisant le grand écart à l'instant du demi temps, manquant à chaque fois de se rompre le dos.
Les couples se séparaient, puis se retrouvaient au rythme du tempo. Les bouteilles se vidaient à grand trait d'union, puis de désunion. Quelques hommes avaient déjà glissé sous la table et ronflaient. Quant aux femmes, plus dignes, elles se laissaient emporter par leur cavalier et en profitaient pour dormir un peu dans leurs bras.
-Monsieur Félix ?
-Ouin, répondit le chef. Distrait, il fit des gestes inconsidérés. La fanfare qui s’était jusqu’ici tenue correctement devint tintamarre. Les danseurs ne surent où donner des jambes. Certains tombèrent à terre, entraînant leur partenaire et par la même occasion tombèrent amoureux l’un de l’autre.
-Ça vous appartient ce papier plein de notes, questionna Marcel
-Peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Il était normand à ses heures perdues. A d’autres moments, outre sa passion pour la musique, il était percepteur des impôts, mais il n’officiait pas dans le village, car beaucoup lui aurait fait sa fête
-Il y a là une note au verso qui pose problème.
-Ah, il s’agit sans doute d’un sol, car le sol se dérobe parfois, insaisissable.
-Je suis policier. Pouvons nous aller chez vous pour parler de choses et d’autres.
-Je vous suis, c’est l’heure de la pause syndicale. Ma maison est proche, elle se trouve derrière l’orchestre. Nous allons mettre en marche la sono, à fond la caisse, ça fera plaisir aux jeunes !
Un peu plus tard, dans la maison, cossue et bien aménagée, Marcel se déplacait d’une pièce à l’autre
-Ce congélo, il repose bien quelque part. Ah, je crois que le vois
-Je veux bien vous servir la goutte, car j’ai de l’éducation, mais le congélo, c’est une affaire privée. Hors de question que vous l’ouvriez. Il vous faut un mandat de perquisition. Et d’abord qu’en avait vous à mon congelo ?
-C’est à cause de votre gribouille, là. Il montre la partition encore dégoulinante d’eau.
-Ah, Ah, la belle affaire.
Une femme enveloppée dans une blouse bigarrée, un fichu sur la tête, des lunettes de soleil sur le nez et un plumeau à la main apparaît soudain.
-Oh mon chérie, tu ne proposes pas à boire à ton ami. ? Je ne me joindrai pas à vous car j’ai beaucoup de ménage. Que de poussière, que de poussière. Ah, j’aurais du écouter ma mère qui me disait, ne te marie pas, ne te marie pas. Je m’en vais retourner à ma poussière. Ah j’oubliai, je te remercie mon cher mari pour la souris. Elle est dans le congélateur
-Le congélateur ! disent en chœur les deux hommes.
Elle ouvre la porte du congélateur et en sort une souris bien raide.
-Et voilà, tout s’explique dit Félix. Ma femme ne voulait pas rentrer à la maison, à cause de cette souris. Je l’ai attrapé, tué et mise au congélo pour lui montrait qu’elle n’avait plus rien à craindre. D’où ce petit mot …
-J’aurais du m’en douter. Félix c’est un nom de chat. Bien, je m’excuse encore pour mon intrusion et mon accusation. Que voulez vous, dans mon métier, on voit le mal partout.
-Je vous sers l’apéro. J’ai des glaçons dans le congélateur.
-Non, sans façon. Le devoir m’appelle.
Le policier sortit et se fondit dans la foule. Le crépuscule avait rougit le ciel. La sono jouait juste mais elle était trop forte. Des murs se lézardaient gaillardement. Marcel regagna la place du village. Il attrapa une bouteille de rouge à peine entamée, remplit un verre, puis se remplit la panse
Pendant ce temps, Félix eut un grand souffle.
-Bien joué, ma chérie, tu es arrivé à temps. J’ai cru que j’allais m’emberlificoter dans les questions de ce flic. Mais qu’as tu fait du corps ?
-Dans la baignoire, nous pouvons le remettre dans le congélateur maintenant. Tu peux m’aider ? Elle est lourde, ta femme.